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La table d'écriture
21 octobre 2014

Ecriture à quatre mains : Pour cent mille chameaux

Il fait chaud en cette soirée de septembre au Caire. La circulation est infernale quand soudain un inconnu m'interpelle : « Que ta peau est blanche, s'écrie-t-il en m'enveloppant d'un regard ténébreux. Il joint le geste à la parole et prend mon bras. Il me propose cent mille chameaux si j'accepte de le suivre. La curiosité l'emporte sur la peur et j'accepte.

Par un passage secret, nous prenons un dédale de ruelles et arrivons devant une maison décorée, la maison des potiers. Le mystère s'épaissit. L'orage menace. L'angoisse me saisit. Enfin, nous pénétrons dans l'échoppe où un homme solitaire contemple une amphore. D'une voix faible, il dit à mon chevalier servant : « Enfin, tu l'as trouvée. » L'atmosphère se fait de plus en plus pesante. « Oui, tu as trouvé le modèle de mes rêves, une gazelle blanche aux yeux verts. »

D'un geste de la main, il congédie l'homme qui m'a menée jusqu'à lui. Il se tourne vers moi et me sourit, dévoilant une bouche où brillent des dents en or. «  Ma gazelle, que tu es belle. Si seulement j'avais vingt ans de moins ! »

Ma tête est dans le brouillard. La seule chose dont je suis sûre est que je ne suis pas du tout en sûreté dans cette maison. Je maudis la curiosité qui m'a mise dans cette situation. Qu’ai-je besoin de cent mille chameaux ? Et d'ailleurs, où sont-ils ? Je me suis laissée prendre par une promesse en l'air. Je suis une idiote, triple idiote.

Comme s'il lisait dans mes pensées, le vieillard éclate de rire :

– Tu auras tes chameaux. Combien t'a-t-il promis ?

– Cent mille, dis-je, et pas un de moins.

– Où vas-tu les mettre ?

– C'est mon affaire, rétorqué-je, et non la vôtre.

– J'aime ton cran, me dit-il d'une voix qui semble avoir pris de la force. Tu auras tes chameaux et le terrain et les hommes pour s'en occuper. Mais il faudra que tu fasses quelque chose pour moi.

– Hum..., fais-je, hésitante. Mais encore une fois, la curiosité l'emporte : Dites toujours.

D'un geste, il me montre l'amphore sur la table :

– Je souhaite offrir cette amphore à notre général de la police Anippe. Peux-tu faire cette commission ?

– Pourquoi moi ?

– Parce que tu es une gazelle aux yeux verts, le type de femme qu'il trouve irrésistible.

– Vous offrez l'amphore ou la gazelle ?

Ha ha ha. Il rit tant qu'il s'étouffe presque :

– Tu es aussi futée. Ha ha, ha. C'est rare.

– Non, dis-je fermement. Votre général est un despote  cruel et barbare. Il vous tranche plus facilement le cou qu'il ne vous dit bonjour. Et d'ailleurs, je ne vois pas pourquoi il revient à une étrangère de lui offrir cette amphore.

– Tu l'as dit. Tu es une étrangère. Tu es protégée. Écoute, cent mille chameaux, ce n'est pas rien.

Vous n'allez pas me croire. Mais chaque fois qu'il prononce le mot chameau, je sens mon cœur battre la chamade et tout mon corps frémir comme si j'étais en transe. Et pourtant, de toute ma vie, je n'ai encore jamais vu un chameau de près. C'est plus fort que moi. Ce n'est pas de la cupidité, je vous assure. Je suis certaine que s'il a dit cent mille diamants, je serais restée de marbre.

D'ailleurs, il ne me laisse pas le temps de réfléchir. Il m'expose son plan. Une servante viendra avec moi. Et quand j'aurai offert l'amphore au général, mangé et bu de tout mon saoul avec lui, elle prendra mes habits et ma place auprès de lui. Je n'ai rien à craindre.

Ses yeux pendant tout ce temps me fixent, ses mains gesticulent, brouillent ma vue. Sa voix qui s'anime au fur et à mesure de son discours m'hypnotise. Je me sens subjuguée. J'accepte.

Tout se passe comme prévu. Le général a un rire gras et stupide et des yeux porcins. La servante réussit à merveille le tour de passe-passe. Je rentre chez moi, propriétaire de cent mille chameaux dans un coin de verdure du Caire. Cent mille chameaux que je n'ai pas encore vus,  compte-tenu de l'insistance du vieillard – comment s'appelait-il déjà ? - de me voir partir très vite.

En allumant la télé à 13h, j'apprends que le général Anippe du Caire a échappé à une tentative d'assassinat et qu'une jeune femme française aux yeux verts, grande, brune, est activement recherchée par la police.

 

Mimiscribouillard  et Hyn- UIA de Chelles - octobre 2014

 

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  • A l'instar d'une table d'hôte, la table d'écriture réunit des passionnés du verbe. Les mots deviennent un jeu et donnent lieu à de franches rigolades et à de beaux textes. Sérieux s'abstenir car l'humour et la poésie règnent en maîtres.
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