L’enfant du silence
Fleurs de coton dans le firmament, les nuages constellent l’hiver. Ils s’en vont à tire-d’ailes en surfant sur les couleurs irisées de la neige. Au pied d’un petit arbre échevelé, un jeune homme se lamente « Pourquoi moi ? Je suis le dernier d’une fratrie qui ignorait totalement mon existence jusqu’à l’ouverture du testament de mon père chez le notaire.
Depuis ma naissance dans ces montagnes qui s’offrent au ciel d’azur, je ne suis qu’une ombre. Je vis caché dans une cabane de berger avec ma mère en compagnie de quelques chèvres et un chien. Comme les arbres sous le poids de la neige, je hurle ma douleur en silence. Vivre dans le secret n’est pas une vie. Le temps se fige et parfois file quand je me mets à rêver d’une vraie famille.
Ce silence a étouffé mon enfance et mon adolescence. Je suis l’enfant sans père, la risée des camarades d’école. Mais pourquoi mon père ne m’a-t-il jamais emmené dans sa famille. Divorcé, il était libre d’avoir un autre enfant. Etait-ce si difficile d’avouer qu’il avait aimé ma mère ? »
Le jeune homme reprend sa route. Curieux, les sapins lèvent les bras vers les cimes en signe d’encouragement : « tiens bon pour petit. Il y a toujours du soleil derrière le brouillard ». Ses pas s’incrustent dans la neige, le conduisent jusqu’aux pieds d’une jeune épousée, une statue de neige qui lui barre le chemin : « tu t’en fous toi. Aux premiers rayons du soleil tu retrouveras les bras de ton amant, le torrent, et vous filerez le parfait amour. Le magot de mon père, une assurance-vie, ne me vaut que le mépris et la jalousie de mes frères et sœurs, qui sont condamnés à payer les dettes de notre géniteur. »
Soudain des cris joyeux, une truffe qui lèche son visage. Le jeune homme retrouve la chaleur de la cabane et la fidélité de son chien tandis que sur les sommets lointains, dos monstrueux d’un dragon endormi, les sapins, sentinelles du paradis blancs, s’endorment dans le soleil couchant.
Mireille HEROS
27 février 2024