Nouvelle : L’homme qui ne voulait pas applaudir
« Be bop a lula, toi ma douce amie, be bop a lula où donc es-tu partie… » dès les premières notes, la salle du centre des congrès Athanor à Montluçon s’enflamme et reprend avec Eddy Mitchell ses plus grands succès. La banane un peu grisonnante mais bien fournie, santiags bien astiquées, costume noir et chemise blanche, le rocker met une ambiance de feu. Comme les autres spectateurs, je m’en donne à cœur joie frappant dans mes mains en cadence et reprenant les refrains.
« J’écoutais le disk jockey, Dans la voiture qui m’entraînait, Sur la route de Memphis » De sa voix toujours aussi chaude le chanteur nous transporte dans son univers. Soudain mon voisin de gauche me tape sur l’épaule en me montrant ses oreilles. Sur l’instant je reste interdite devant ce visage impavide constellé de verrues. Je ralentis la cadence quand je m’aperçois qu’à la mollesse de ses applaudissements il n’a pas envie d’aller à Memphis. Rester impassible au talent du chanteur de mes seize ans qui, de plus, donne sa dernière séance, c’est trop me demander. Je reprends de plus belle quand le crooner appelle ses chers frères et ses chères sœurs à ne pas faire de boogie woogie avant la prière du soir. Ma voisine de gauche en fait autant.
« La lumière revient déjà et le film est terminé, je réveille mon voisin, il dort comme un nouveau-né » poursuit Monsieur Shmoll. Le mien ne dort pas mais est enfoncé dans son fauteuil, toujours aussi renfrogné. Intriguée par son comportement, je lui dis gentiment «qu’il ne faut pas venir à un concert de rock quand on ne supporte pas le bruit ». Et de me répondre : « ce sont les applaudissements qui me font mal aux oreilles. »
Mimi Scribouillard