Nuits algériennes

Une fois de plus, elle consulte sa montre  « c’est pas possible, elle prend de l’avance  ou quoi ?» Corinne, une quadra aux yeux bleus et cheveux de geai, s’active dans son bureau. Vite, elle expédie la signature des derniers courriers que lui soumet sa secrétaire, Brigitte Bigouden. « Je n’aurai jamais le temps de tout faire, lui dit-elle. Je dois finir ma valise et faire deux ou trois courses ». Un sourire gêné lui répond :

« - Quelque chose ne va pas Brigitte ?

- Non, non, Madame

- Je ne pars qu’une semaine pour faire ce reportage en Algérie. Certes la prudence s’impose mais ce n’est quand même pas le Togo. Et puis je pars avec des collègues ».

Toujours aussi circonspecte, la secrétaire finit par lâcher :

- « Il y a un bruit qui court…

- Ah bon. Lequel ?

- Il paraît que votre mari demande le divorce car il ne supporte pas que vous partiez seule avec trois hommes.

- On ne peut pas dire que ce soit des Georges Clooney. Tout ça c’est des histoires de radio-moquette ».

Corinne oublie cette rumeur qui lui passe au-dessus de la tête et boucle son attaché-case bourré de docs sur la construction sans oublier ses billets d’avion et réservations d’hôtels.

Le lendemain matin, elle retrouve Eric, Christian et Jean-Pierre, ses collègues à Orly Sud. « Tu as bien pris une petite laine, lui dit Jean-Pierre, car l’Algérie en janvier c’est plutôt frisquet et le soir ça caille ».

Première étape, Alger la Blanche. Rendez-vous avec les élus locaux, les partenaires scientifiques, les entreprises avec palabres, thé, salamalecs… Puis direction hôtel dans un taxi qui interprète le code à sa manière. Surprise : l’établissement coupe l’eau toutes les nuits. Pas de douche. Toilette de chat. Le lendemain, départ pour Tamanrasset dans un vieux coucou, qui a dû faire la guerre de 14. Mais une surprise de taille attend l’équipe à l’hôtel le plus étoilé de la ville. Le concierge annonce qu’il ne dispose que de deux chambres pour les quatre compères. Etonnement, protestations. Rien n’y fait.

« Bon les gars, dit Christian, on va tirer au sort celui qui partagera la chambre de Corinne ». Le sort désigne Eric, un économiste au style très british. Aussitôt Corinne songe aux détails pratiques. « Comment vais-je faire pour me déshabiller, partager la salle de bain, les lits sont proches l’un de l’autre. Et puis avec toutes ces rumeurs, comment vais-je annoncer à mon mari que j’ai dormi avec un homme ? ». A la guerre comme à la guerre, ils établissent un plan d’occupation des sols. La cohabitation ne s’annonce pas trop difficile. Pour se protéger du froid mordant de la nuit, Corinne dort tout habillée.

Une surprise l’attend à son réveil. Elle découvre un chien la tête en bas, un papillon, une demie lune, un tigre… Avec son flegme habituel, Eric fait son yoga matinal sans s’occuper de la présence de sa collègue qui retient un énorme fou rire tant le spectacle est insolite.

Sa mission terminée, l’équipe rejoint Gardhaïa. Installation dans un hôtel tout confort dans la palmeraie avec chambres individuelles.Soudain Corinne pousse un cri effrayant : des mille pattes géants ont envahi sa chambre. Elle se précipite dans celle d’Eric qui fume des joints pour chasser les intrus.

Mireille Héros

9 novembre 2020