Révolte au royaume des fleurs

En ce jeudi saint, au Royaume des fleurs, les troubadours donnent un récital de poésie au château de la Belle-Rime. Salle obscure, tables et chaises disséminées aux quatre coins, fleurs fanées en ribambelle qui de leurs cannes  saluent, embrassent leurs comparses. On pourrait s’attendre à un cénacle ronronnant au coin du feu. Détrompez-vous, il n’en est rien.

A la première lecture, Messire  Lys, l’hôte de ces lieux, donne le ton. Ce spécialiste des contes, aux pétales bien lissés, gratifie les rimailleurs de bons et mauvais points. S’adressant au petit coquelicot, rouge de confusion, il lui dit d’une moue dédaigneuse : « Apprenez à faire plus court pour la prochaine fois ».

Vient le tour de la rose rouge, sa favorite. Il la couve de ses pistils d’or, lui souffle les rimes. Applaudit à tout rompre. Autant d’attentions c’est touchant. La salle exulte. On ne contrarie pas le maître des lieux. Ca ne se fait pas. On est entre fleurs bien élevées.

Ensuite, une rose jaunie par les années récite son texte et se précipite sur son siège pour serrer dans ses épines une rose des sables aux cheveux noirs crépus. La salle baigne dans le mystère. Les fantômes du château ne vont pas tarder à entrer dans la danse.

Les tulipes noires en légion se lancent dans une série de textes plus noirs les uns que les autres qui mettent en scène les vampires, les charognes, les flaques de sang sur la banquise où gisent les bébés phoques. Tous ces crimes rendent l’atmosphère irrespirable. Sous l’effet du stress, le muguet agite ses clochettes, la marguerite s’effeuille. Seule la primevère d’une voix éthérée fait l’apologie des petites feuilles vertes qui s’ouvrent au printemps.

Et là, les crayons ont explosé de colère. Ils ont condamné les petites fleurs, les petits oiseaux, le sang, les amours illicites, la dictature des vers bien carrés. Ils ont hurlé leur attachement à la liberté de créer des images poétiques, de rendre hommage à la sagesse. Ils ont déroulé une feuille de papier de riz où les poètes épris de zen attitude se sont livrés à une joute littéraire en rouge et noir.

Bien sûr, ce n’était pas du goût de Messire Lys qui a manifesté sa désapprobation d’un revers de pétales. Furieux les crayons  ont appelé les mots à la rescousse pour se venger d’une fleur aussi orgueilleuse. Et, quand Messire Lys a voulu réciter un conte de son auteur préféré, les mots se sont mis en grève et avec les crayons on creusé des trous de mémoire.

Mimiscribouillard – avril 2015