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La table d'écriture
20 juin 2021

D’une culture à l’autre

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- Psst ! Tu ne me reconnais pas ? J’ai changé à ce point ?

 

La passante se retourne interloquée d’être ainsi interpellée dans la rue.

 

- Pardonnez-moi mais je ne vous connais pas !

 

- Pourtant je suis connu comme le loup blanc dans Paris. Et puis tu m’as demandé ton chemin plus d’une fois, le sens de l’orientation t’as toujours fait défaut. Rappelle-toi le jour où je t’ai tirée d’un mauvais pas avec cet ingénieur qui voulait faire fermer l’hôpital Pompidou pour cause de légionellose ! Arrivée à ton bureau tu t’es fendue d’un démenti que tu as balancé dare dare dans les rédactions.

 

A l’époque j’étais très en vogue tout le monde m’admirait. Je faisais les gros titres des journaux. J’ai vu passer tous les présidents. Il y en a qui n’étaient pas marrants qui faisaient toujours la tronche. Et puis les hommes politiques de tout bord me faisaient les doux yeux pour être en bonne position. Il y avait aussi les vedettes du show biz qui étalaient leur vie privée à longueur de colonnes. Elles me confiaient toute leur vie. De vrais romans qui parfois finissaient tragiquement. Sans parler des princes et des princesse qui faisaient rêver dans les chaumières. Et les sportifs avec des photos à vous couper le souffle. Je peux dire que j’ai tenu le monde entier entre mes bras. Il y avait aussi les intellos, férus d’histoire ou de science, avec leurs lunettes sur le nez.

 

Ceux que je préférais par-dessus tout, c’étaient les quidams avec leur chien. Ils bavardaient de tout et de rien, ils refaisaient le monde, le café ou la baguette de pain à la main. Parfois le ton montait. Les Médor en profitaient pour lever la patte ou déposer un souvenir mais peu importe. Paris était réputé pour cela à l’époque.

 

- Vous êtes si vieux que ça ? Lui demande la passante

 

- Oh, ma petite dame bien plus que tu ne peux l’imaginer.

 

- Pourtant vous êtes encore bien vert !

 

- Détrompe-toi, j’ai quelques années au compteur. Le baron Haussmann, celui qui a modernisé Paris, m’a porté sur les fonts baptismaux pour venir en aide aux veuves de guerre. J’ai vu le jour en 1859 sur les Grands Boulevards. J’étais fier de ma coiffe en écailles de zinc et de son plumet, de mes frises et de ma robe en chêne de Tronçais. Je faisais de sacrées journée. Dès 4h30 du matin je réveillais les Parisiens au son des gros titres et fermais les volets à 2 heures du mat. C’est qu’il me fallait éclairer la voie publique de mes bandeaux publicitaires.

 

- Pourquoi les Parisiens vous rejoignaient-ils si tôt ?

 

- Pour connaître la suite de leur feuilleton préféré.

 

- des feuilletons comme à la télé ?

 

- oui c’était l’équivalent des séries d’aujourd’hui. Ces Messieurs de l’Académie trouvaient ça trop populaire et n’avaient pas de mots assez durs pour la prose des Jules Verne, Émile Zola, George Sand ou encore Guy de Maupassant mon préféré. Note bien, qu’ils se sont rattrapés depuis. C’était le bon temps, celui du papier. Aujourd’hui vous êtes tous scotchés à vos smartphones et pire accros aux réseaux sociaux et vous avalez n’importe quelle « Fake news ». Vous passez devant moi sans un regard. Suis-je donc devenu si ringard ?

 

- Que vous est-il arrivé, racontez-moi

 

- J’avoue que j’ai perdu le nord quand la ville de Paris a voulu nous exterminer, mes frères et moi. On nous a dit, vous les vieux, vous n’atteignez pas vos objectifs de vente place aux jeunes, qui s’habillent en plastique et sauront se diversifier. En plastique tu te rends compte. On a eu beau crier Paris sans ses kiosque à journaux ce n’est plus Paris. La mairie n’a rien voulu entendre et nous a vendus à Decaux, pas l’historien, l’afficheur. On a échappé de peu à la déchetterie. Il faut dire qu’on a eu le soutien d’un collectif de parisiens.

 

Il nous a bien fallu accepter les transformations pour être plus attractifs et survivre. Alors, je se suis devenu fleuriste à la sortie du métro. Ça c’était plutôt sympa. Surtout qu’on ne faisait pas les enterrements. Et puis c’était gai toutes ces couleurs. Ensuite, il a fallu diversifier l’offre. On a laissé tombé les fleurs pour vendre des souvenirs de Paris, des tickets de métro des parapluies et même des chapeaux. J’ai dit merci dans toutes les langues. Ça me faisait sourire de voir les Chinois et les Japonais me photographier en long en large et en travers. Je posais pour la postérité et eux repartaient avec leurs sacs « I’love Paris ». Au funiculaire de Montmartre, c’était une vraie procession. Ils arrivaient et repartaient par vagues

 

- Et maintenant ?

 

- Aujourd’hui, l’afficheur national nous transforme en terminal à produits fermiers. Hachette laisse la place à La clayette, une start-up qui propose des paniers apéros, des paniers de fruits, de légumes et même des jus de fruits bio. Tout ça en click and collect. Regarde, je suis bourré de casiers réfrigérés et connectés. Je ressemble plus à la morgue qu’à un étalage de primeurs. Les Parisiens mettront leur smartphone devant un casier et, Sésame ouvre-toi, les paniers prêts à l’emploi sortiront comme à la morgue.

 

- Je vous trouve quand même un peu dur. Les Parisiens vont pouvoir consommer local...

 

- Je te le concède, c’est bon pour la planète. Et puis au final c’est toujours de la culture. Qu’il s’agisse d’une feuille de chou ou d’un légume, un navet restera toujours un un navet.

 

Nouvelle présentée au réseau des médiathèques de Paris- Vallée de la Marne

 

 

 

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