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La table d'écriture
2 mai 2021

La bonne fortune

 

 

Bonne fortune cat-5959921_1920

Maître Renard, notaire de son état à Rouen, est un homme discret voire solitaire. On ne lui connaît aucune liaison sulfureuse. En revanche, il a un sérieux penchant pour l’alcool. Elle l’aide à vaincre une timidité maladive. Aussi, il ne commence jamais un entretien sans avoir pris, quelques minutes avant le rendez-vous, un petit verre de calva. Cela l’aide à parler et à faire parler ses clients.

 

Aujourd’hui, il est décidé à prendre sa vie en main. Il n’en peut plus, il suffoque. Comment a-t-il pu se laisser enfermer dans ce mariage. Lui la soixantaine bien tassée et elle la trentaine. Il a l’impression d’être le héros de la chanson de Reggiani, elle au printemps, lui en hiver. Le point de non retour est atteint. Le voici dans l’antichambre de Maître Brébian, avocat au barreau de Rouen, réputé pour gagner les divorces les plus complexes. Le stress l’étreint au point de le rendre inerte.

 

Pourtant tout avait bien commencer car, c’est elle Zabou, qui l’avait choisi, l’avait pris dans les filets de sa dot de trois millions d’euros. Il ne se sentait pas insulté par la fortune de sa femme. Bien au contraire. Elle lui ouvrait les portes d’une société dont il avait toujours rêvé : palaces avec voiturier qui vous ouvre la portière et gare votre voiture, les courbettes, les Monsieur longs comme le bras, les meilleures tables pour être bien en vue, le meilleur des champagnes, les meilleures places au spectacle… Enfin tout ce qui fait un homme respectable et respecté.

 

Pour l’heure, Maître Brébian le fait entrer dans son bureau

 

« - Que me vaut votre visite, cher Maître Renard. Je vois sur votre fiche que vous êtes notaire dans notre bonne ville. Je suis plus spécialisé dans les divorces que dans les litiges opposant des héritiers. Je crois que vous êtes marié depuis peu. L’événement avait fait grand bruit !

 

- Ah ma femme, cette créature m’a littéralement envoûté au premier regard. De beaux yeux noirs remplis de lumière méditerranéenne. Elle ne parlait qu’avec des phrases bien tournées et jamais ne me contrariait. Son léger accent chantant me transportait.

- Comment l’avez-vous rencontrée ?

- Vous allez me prendre pour un gamin…

- Dites toujours…

 

Le notaire rougit en baissant les yeux, tout honteux

- J’ai répondu à une annonce sur Facebook

- Comment ça ?

- Oui une annonce sur Facebook où elle se présentait avec une dot de trois millions d’euros. C’était plus que tentant.

- Ces trois millions d’euros, d’où venaient-ils

- C’est justement à cause d’eux que je veux entamer une procédure de divorce. Ah la canaille !

- Divorcer alors qu’une femme vous apporte trois millions d’euros sur un plateau d’argent, excusez-moi, je ne comprends pas.

- Ah Maître c’est dur d’être riche quand c’est sa femme qui tient les cordons de la bourse.

- Mais votre étude…

- C’est du gagne-petit. Une succession par-ci, un héritage par-là, ça ne rapporte pas lourd. Sûr que la dot de ma femme m’a donné le grand frisson. Dans sa générosité, elle m’a proposé de nous marier sous le régime de la communauté. Tu verras, m’a t’elle dit, ce sera plus facile pour toi et ton étude.

- Comment s’est passé votre mariage ?

- Pour un mariage ce fut un grand mariage. C’était le grand pardon avec youyous, pétards et compagnie. Nous étions plus de deux cents. La famille de ma femme était même venue du fin fond du Sahara. Il ne manquait que les chameaux. Nous avions privatisé une belle auberge normande. Cette journée si particulière doit être inoubliable, me répétait-elle. J’étais le plus heureux des hommes. Je pouvais montrer qu’à soixante ans, on peut faire un mariage d’amour.

- Que vous est-il arrivé ? A-t-elle voulu vous tuer à petit feu en vous soignant pour une maladie imaginaire ?

- Hélas non, Maître. C’est beaucoup plus grave. Un mois après notre mariage, un huissier s’est présenté à mon étude avec un commandement à payer de trois millions d’euros. J’étais ahuri, assommé, complètement perdu. Le monde s’écroulait. Je lui demande de m’expliquer. Ce sont les dettes accumulées par votre épouse dans les grands hôtels parisiens, les couturiers, les arriérés d’impôts depuis … dix ans !

- Et vous n’aviez rien vu ? Les créanciers ont dû envoyer des lettres recommandées.

- Non, elle cachait les avis dans un coffre à la banque dont elle seule possédait la clé.

- Où est votre femme ?

- Elle est partie faire le Paris Dakar avec sa nouvelle conquête qui a répondu à son annonce sur Facebook : jeune femme, dotée de 3 millions d’euros, cherche compagnon pour ses œuvres humanitaires. »

 

Mireille Héros

28 avril 2021

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  • A l'instar d'une table d'hôte, la table d'écriture réunit des passionnés du verbe. Les mots deviennent un jeu et donnent lieu à de franches rigolades et à de beaux textes. Sérieux s'abstenir car l'humour et la poésie règnent en maîtres.
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