Un grain de sable dans une juste cause

Il jure la main sur le cœur, que jamais il ne cédera aux sirènes de l’argent.

Il jure la main sur le cœur, que toujours il respectera les femmes.

Il jure la main sur le cœur, que toujours il fera preuve d’humilité.

Il jure la main sur le cœur, que jamais il ne trahira la République.

Comment ne pas suivre, les yeux fermés, cette graine de héros, qui envoie à l’échafaud les ennemis du peuple et de la République ?

Mais, qui peut imaginer, que cet homme désintéressé puisait à l’envi dans les caisses de l’État ?

Qui peut imaginer, que cet ardent défenseur des droits de l’homme rudoyait femme et enfants quand il rentrait dans son logis ?

Qui peut imaginer, que cet homme dès qu’il quittait la tribune se roulait dans la luxure ?

Qui peut imaginer que cet homme, qui livrait des familles entières à la vindicte populaire pour une particule, jouait double jeu entre la République et la monarchie ?

Cet homme-là, Mesdames et Messieurs de la cour, vous l’avez devant vous. C’est Mirabeau. Et je demande une peine exemplaire pour avoir trahi le peuple de France.

D’une main rageuse, Bertrand prend la télécommande et coupe la télé : « ces chiens de journalistes nous refont le coup de Mitterrand à Vichy. De vrais charognards. Toujours à fouiller dans le passé pour en exhumer des cadavres. »

Bertrand est un écolo pur et dur. Fraîchement élu maire de Paris, c’est un ardent défenseur de la veuve et de l’orphelin et surtout de la planète. Pourfendeur de la finance, il n’a pas de mots assez durs pour dénoncer la spéculation immobilière, qui prive les plus humbles d’un logement décent. Son nouveau cheval de bataille : faire la peau à Amazone, le géant de la distribution en ligne. Bertrand ne regarde pas à la dépense pour fustiger ceux qui s’aventurent en terre ennemie. De réunions publiques en conférence de presse, il dénonce « ces mauvais citoyens qui font passer leur porte-monnaie avant la solidarité envers les petits producteurs et les petits commerçants ! »

Depuis les lambris dorés de l’Hôtel de Ville, il veut leur apprendre à acheter vert et intelligent. Peu importe les fins de mois difficiles, elles ne sont que des argumentaires pour ses discours et non pour son compte en banque.

A quelques jours de Noël, le confinement met l’opinion publique sur des charbons ardents. Tous les commerces non essentiels ont été priés de baisser le rideau. Les chaînes d’information s’emparent du sujet et organisent émission spéciale sur émission spéciale. Bertrand en est souvent l’invité vedette : il a lancé une pétition pour boycotter le géant de la distribution en ligne.

Une nouvelle fois, sur le plateau de TF1, il se rengorge et joue au chevalier plus vert que vert. C’est alors, qu’un jeune journaliste évoque le livre de cet édile si brillant pour redonner de l’espoir aux grandes villes. Le jeune journaliste qui cherche le scoop, l’interroge sur son passé d’homme d’affaires et sa conversion à l’écologie. Puis, glisse subrepticement : « comment expliquez-vous que votre livre soit en tête des ventes sur le site d’Amazone ? »

Les justes sont parfois des traîtres.

Mireille Héros

16 novembre 2020

Club des Poètes de Marne-la-Vallée