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La table d'écriture
13 janvier 2019

Amir et la Joconde

 

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Est-ce l'effet des citrouilles grimaçantes d'Halloween? Ce soir Amir a peur. Il voudrait vivre comme tous les autres enfants. Avoir un vrai foyer avec des parents aimants, regarder la télé le soir et dormir dans un lit. Mais plus que tout, il voudrait voir la Joconde là-bas à la capitale. "pourquoi les citrouilles ne se transforment-elles pas en carrosse comme dans les contes de fées , s'interroge-t-il". Alors il sort de sa poche l'image découpée dans le dernier Télé-loisirs et la serre sur son cœur.

 

Guetteur la nuit, écolier le jour, Amir, treize ans, est déjà un chef de famille. Son père a déserté le foyer abandonnant femme et enfants dans la cité des Quatre Pavés à Marseille. Ici pas de citrouilles mais des fenêtres cassées, des volets grinçants, des portes de garages rouillés et des dealers

 

Soudain un vent glacial se lève, coupant comme une lame de couteau. Amir frissonne. L'orage gronde, éclate furieux. Tout le quartier se retrouve dans le noir. Seules les bougies des citrouilles diffusent une faible lueur puis s'éteignent sous les assauts du vent.

 

Un sifflet strident retentit : "allez les gars on rentre. C'est foutu pour ce soir", lancent les dealers. Les faisceaux lumineux des portables repartent chacun de leur côté. Amir reprend le chemin de la cité heureux de gagner quelques heures de sommeil même si ce soir la paye est maigre. Il entend déjà les reproches de sa mère :"c'est tout ce que tu rapportes? Comment va-ton payer le loyer à la fin du mois?" Il en a le cœur serré.

 

Alerté par un gémissement qui devient une plainte, Amir éclaire la route avec son portable. Il découvre une boule de poils noirs attachée à un arbre. Il n'écoute que son cœur et détache la pauvre bête. De reconnaissance, elle le lèche, se frotte contre ses jambes. Mais que faire d'un chien quand il y a déjà de nombreuses bouches à nourrir. "Tant pis je l'emporte au moins j'aurai un ami".

 

Quand la mère au matin découvre la boule de poils, elle entre dans une colère noire "Un chien, tu n'y penses pas Amir. Qu'est-ce qu'on va faire de lui? C'est toi qui vas payer le vétérinaire et les croquettes". Amir n'en peut plus des brimades et répond :"je vous nourris tous. Plutôt que de faire le guet je voudrais étudier le dessin et voir la Joconde". Il reçoit une gifle pour toute réponse.

 

Il prend le chemin de l'école accompagné du chien. Au croisement d'une rue, deux molosses d'une bande adverse se ruent sur son compagnon. C'est alors, qu'un halo de lumière entoure l'enfant. Pulvérise les cadors et les transforme en étoiles. Subjugué Amir suit le halo miraculeux et se retrouve sur le quai du métro à faire la manche "Un euro pour faire manger mon chien, Qui aura pitié d'un pauvre chien abandonné?". Les voyageurs pressés passent sans remarquer l'enfant et la bête. Amir se met, alors, à dessiner des têtes de chien sur le quai. Elles ont toutes ce même sourire énigmatique empreint de douceur.

 

Intrigué par la lumière qui accompagne la main de l'enfant, un homme s'arrête, regarde ces étranges figures qui lui rappellent quelque chose ou quelqu'un. "Qui t'a appris à dessiner ainsi petit?" Sur ses gardes, Amir pense "Même si c'est un flic je réponds. Mieux vaut la prison avec les flics que la mort avec les trafiquants".

 

- Je n'ai pas appris, Monsieur, ça vient comme ça.

- Sais-tu que le sourire de tes portraits ressemble étrangement à celui de la Joconde au musée du Louvre à Paris?

- Oui c'est mon idole. Mais vous Monsieur qui êtes-vous?

- Je m'appelle Léonard et j'enseigne le dessin à l'école du Louvre.

- Alors vous n'êtes pas de la police?

- Bien sûr que non. Veux-tu venir avec moi à Paris voir le tableau de la Joconde?

- Oui si je peux emmener mon compagnon

- D'accord, on s'en occupera.

 

L'homme et l'enfant suivis de la boule de poils noirs partent pour la Capitale et se rendent directement au Louvre. Les visiteurs ont quitté le musée. Amir n'en croit pas ses yeux. Tous ces tableaux aux noms inconnus rien que pour lui... Quand il arrive devant le tableau tant rêvé, il reste prostré. Des larmes de bonheur coulent. Sillons de cristal sur son visage d'ébène. Amir plonge dans le regard qui fouille son âme d'enfant. Soudain, les voiles de la Joconde se gonflent et déchirent la toile.

 

La madone sort du tableau. Elle emporte Amir par delà les mers et les montagnes. Et le dépose sur la terre de ses ancêtres : un village malien. A l'entré d'une case, un être cornu au corps peint l'attend : le sorcier. Apeuré, Amir recule : "N'aie pas peur. Tu ne crains rien. Le Dieu des Vents t'a choisi pour fils. Désormais, c'est lui qui guidera ton pinceau et gonflera tes toiles avec sa sarbacane remplie de lucioles".

 

Amir tressaille. Une main s'est posée sur son épaule, celle de Léonard. Doucement, il entraîne l'adolescent vers son atelier où il expose ses schémas d'hommes volants. Pour Amir, c'est une révélation. Les prédictions du sorcier résonnent à ses oreilles.

 

Amir apprend très vite. Il montre des dons exceptionnels pour poser sur la toile, d'un simple trait, le fil du vent. Les herbes et les arbustes de la brousse, en clairs obscurs s'effilochent. Les nuages déversent des poussières d'étoiles scintillantes. Sous ses pinceaux toujours auréolés de lumière, Amir règle la danse des alizés, fait chanter le mistral ou hurle la colère de l'ouragan.

 

Les années ont passé, Amir est au sommet de son art et de la célébrité. Il signe tous ces tableaux d'un chien au sourire de Joconde.

 

 

Mireille HEROS

UIA

19 novembre 2018

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