Rififi sur la route 66
Sous un ciel de plomb, la montagne projette son ombre sur un paysage désertique. Pas un arbre, pas une herbe. Le sable rien que le sable.
Au milieu de ce no mans’land, se dressent une station service et un motel. Campés sur leurs murs blanchis à la chaux, ils montent la garde. Une voiture semble posée là, oubliée, le pare-brise défoncé. Est-ce le résultat d’une attaque à main armée pour une poignée de dollars ou pour quelques litres d’essence ?
Au fond du café, un homme vêtu d’un jean et d’une chemise à carreaux , va, vient, la démarche mal assurée. Son regard d’un bleu délavé s’attarde sur la machine à café puis se pose sur le bar où les bouteilles attendent les bikers dans une odeur de tabac froid et de bouchon. Un parfum de mort flotte dans l’air poussiéreux de cette fin d’après-midi.
Soudain un grondement se fait entendre au loin puis se rapproche. Ce qui ressemblait à des fourmis devient très vite de gros bourdons noirs. Une bande de bikers sur leur Harley s’arrête pour faire le plein de carburant et de ravitaillement.
Les jambes engourdies par les kilomètres parcourus, ils descendent de leur machine, prennent leur casque sous le bras et pénètrent dans le coffee-shop. « Waouh s’écrie l’un d’entre eux, on est chez John Wayne ! On est en plein western. Oh mec, sers nous du whisky et le meilleur. Ce soir c’est la fête ». A la grande stupéfaction des bikers, l’homme ne bouge pas. « Qu’est-ce que tu attends, tu veux qu’on se serve ? Tu te remues ou quoi sinon on te fait danser avec nos chaînes. » Toujours le même silence et ce regard tourné vers ailleurs.
Les esprits s’échauffent, le ton monte. Rien n’y fait l’homme reste prostré : « Tu nous sers ou bien on déglingue ton bar ». Pas de réponse. Dans leur folie, les bikers s’emparent des flacons et boivent le précieux liquide à même le goulot et jouent à chamboule tout avec les bouteilles vides. Le bar n’est plus qu’un amas de verre brisé. Alors, ils attrapent l’homme par sa chemise et le conduisent sans ménagement aux pompes à essence : « maintenant tu fais le plein de nos machines ». L’homme ne réagit toujours pas. Il tourne vers eux un regard d’une infinie tristesse. Les bikers lui demandent une chambre et n’obtiennent aucune réponse. Ils écument de rage et mettent les chambres à sac.
Un vieil indien, alerté par les hurlements des bikers, quitte sa réserve à cheval. Il contemple, ahuri, le spectacle de désolation qu’offre la station service. Les bikers lui conseillent de passer son chemin sous peine de subir le même sort que le pompiste. « Calme, calme, leur répond-il, vous ne voyez qu’il est sourd et muet. Je suis un descendant des Navajos et chez moi on protège les gens sans défense. »
Mireille HEROS
UIA
Juin 2017