Le fantôme du chocolat et les cygnes

Dans son habit argenté, le fantôme du chocolat hante les berges de la Marne. A sa grande stupéfaction, il découvre une famille de cygnes. La planète se réchauffe, s’écrie-t-il. De mémoire de chocolat on n’a jamais vu de cygnes sur la Marne au joli mois de mai.

Nullement impressionnés par cette forme bizarre qui plane sur les eaux vertes, Papa et maman Cygne ainsi que leurs rejetons se jettent à l’eau en tortillant du croupion. Ils plongent, attrapent un poisson, s’ébrouent bruyamment et regagnent la terre ferme dans un concert de trompettes.

Où sont passées les jolies chocolatières en chapeaux et dentelles ? Dans le parfum des prés, elles brodaient leur trousseau en attendant le prince charmant, une maison avec deux ou trois enfants. Qu’en est-il de ce temps béni où je régnais sur le monde. Londres, New-York, Chicago, partout on me célébrait, on me dégustait… Mais que se passe-t-il ?

Indifférents aux états d’âme de notre fantôme, deux petits cygnes se disputent un poisson. C’est moi qui l’ai pêché non c’est moi je l’ai même attrapé par la queue. D’un battement d’ailes le premier s’envole avec son trophée poursuivi par le second, furieux de voir lui échapper son festin.

D’humeur plutôt joyeuse, nos deux compères se réconcilient et partent pour une expédition punitive afin de chasser les intrus qui envahissent les berges avec leurs cannes et leurs épuisettes. Pas question de partager notre territoire.  Un bon de coup de bec et pan les lignes tombent à l’eau. Déçus, les pêcheurs  maudissent les sales bêtes et repartent bredouilles.

Je n’entends plus le chant des broyeuses à cacao se lamente le fantôme. La bonne odeur de chocolat a disparu. Reprise par l’empire de la finance, l’usine est devenue un musée. Les gens courent comme des fourmis les yeux rivés sur une drôle de boîte sur laquelle ils pianotent. Ils parlent tout seul. Le monde serait-il devenu fou ?

Satisfaits de leur bon tour, nos deux cygnes repartent à tire d’ailes. Ils saluent joyeusement leurs compères canards et cormorans. Le champ est libre leurs disent-ils festoyons et dansons. Sur le chemin du retour, étourdis par leurs aventures nos deux cygnes perdent tout leur sens de l’orientation. Les parents, anxieux, les appellent, les cherchent sur l’île sans aucun résultat.

Emu par la détresse des parents, le fantôme déploie ses antennes et part à la recherche des deux étourdis. Il survole la Marne sans aucun résultat. Il en appelle à la déesse GPS, la grande prêtresse de Saba. Prenez le boulevard Perle de sucre jusqu’au château du cacao. Au rond-point du Nicaragua, prenez la deuxième sortie. Continuez tout droit jusqu’au garage de la Ganache. Tournez à gauche. Continuez tout droit sur la voie du caramel.  Engagez-vous sur l’autoroute des quatre chocolats. Le fantôme s’exécute. Il aperçoit alors sur la bande d’arrêt d’urgence, les deux petits cygnes aux plumes gonflées d’effroi. Le fantôme les enveloppe dans son drap et les ramène au nid.

Toutes ces émotions m’ont épuisé soupire le fantôme. Le monde n’est plus ce qu’il était. Je retourne dans ma tablette et je n’en sors plus.

Mireille HEROS

12 mai 2016